Poésie
Charles Baudelaire
L'albatros
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Charles Baudelaire
Correspondances
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.
Michel Baury
Là-bas en Limousin
J'ai habité là-bas le cours de mon enfance
Une maison ouverte à la bise d'hiver
Une chambre sordide où mon sommeil la nuit
Avait pour compagnie les hôtes des charpentes
Et mon souffle au matin le givre sur le drap
J'ai habité là-bas une vieille demeure
Dont les murs fissurés supportaient une treille
Qui s'offrait au soleil pour gonfler le raisin
Et servait de refuge au passereau espiègle
Au lézard paresseux et parfois à l'aspic
J'ai habité là-bas dans une ferme ancienne
Clôturée de légendes d\'interdits et de craintes
La sorcière dès le soir gardienne autour du puits
Les fantômes au bois ressuscitant les morts
Les bêtes à l'étable se parlant à minuit
J'ai habité là-bas un village blotti
Auprès de chemins creux sillons profonds tracés
Comme rides au temps arrêté en ce lieu
Maisons grises abritant les âmes courageuses
Des derniers paysans s'accrochant à la pierre
J'ai habité là-bas en pays limousin
Mes premières amours pour la ronce et pour l'arbre
Pour la truite rebelle dans l'eau claire du ru
Pour le buisson ardent qui protège l'oiseau
Et le chant batracien des chaudes nuits d'été
J'ai habité là-bas à faire battre mon cœur
Le rythme des saisons la sève du printemps
Et les couleurs d'automne les durs travaux des champs
Le fenil en juillet et la neige en décembre
Les ciels lourds de promesses et la foudre magique
J'ai habité là-bas à construire mes racines
A graver sur les troncs mes émois jouvenceaux
A parcourir les landes et recevoir les dons
Que la nature alors nous offrait sans partage
A rêver ma passion pour l'oiseau dans le vent
Michel Baury
Espoirs Milliénaires
Il est si vieux déjà ce siècle centenaire
Que sa fin annoncée de vieillard sanguinaire
Fait naître mille espoirs au nouveau millénaire
Des espoirs de tendresse
Dans le cœur des enfants
Qui l’auront célébré
Et des espoirs d’amour
Aux lèvres des amants
Qui l’auront glorifié
Des espoirs d’affection
Pour les roses fanées
Au soleil de midi
Des espoirs d’indulgence
Pour tous les indigents
Que le monde façonne
Et des espoirs de paix
Pour les guerres oubliées
A la porte des camps
Des espoirs d’humanisme
Pour que l’Arche sur Terre
Demeure le paradis
De la diversité
Et moi qui ne suis rien qui ne suis que poète
A faire vibrer les mots
Qui ne suis que témoin du mystère d’infinis
Et moi qui ne suis rien
Que mauvaise conscience
Pour l’Homme prétentieux
Je crains qu’au lendemain
De cet avènement
Le nouveau-né déjà
Ne songe à guerroyer
Brûle la tolérance
Aux feux de ses passions
Et se mette à rêver
Que demain sans nul doute
Le monde soit meilleur
Que celui qu’il construit
Mais siècles millénaires
N’ont pas fait mieux pour lui
Qu’à lui donner l’espoir
De fuir le désespoir
Il est si vieux déjà ce siècle centenaire
Que sa fin annoncée de vieillard sanguinaire
Fait naître mille craintes au nouveau millénaire
Pourtant demain sans doute sera comme aujourd’hui
Ni plus laid ni plus beau
Ni plus gai ni plus triste
Demain comme aujourd’hui sera un jour commun
Aux espoirs millénaires
Brigitte Beaudin
Soirée huppée
Soirée huppée
Tenue soignée
Jupe rayée
Corsage doré
Cheveux laqués
Mèche au sommet
Epi de blé
Quelle classe !
Par bonds légers
Vont au buffet
Pour picorer
De tous les mets
Une envolée
Pour s’aérer
Et gazouiller
Espace...
Pas effrayées
Ces invitées
Ont occupé
La place
Puis déployé
Leurs jupes rayées
Pour nous quitter
Quelle grâce !
Charles Baudelaire
Elévation
Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,
Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.
Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.
Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins ;
Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !
Pascal Bonetti
(1884-1975)
Par le sang versé
Le monde entier disait : la France est en danger
Les barbares demain, camperont dans ses plaines
Alors, cet homme que nous nommions "l'étranger"
Issus des monts latins ou des rives hellènes
Ou des bords d'outre-mers, s'étant pris à songer
Au sort qui menaçait les libertés humaines
Vint à nous, et s'offrant d'un cœur libre et léger
Dans nos rangs s'élança sur les hordes germaines
Quatre ans, il a peiné, lutté, saigné, souffert !
Et puis un soir, il est tombé, dans cet enfer..
Qui sait si l'inconnu qui dort sous l'arche immense
Mêlant sa gloire épique aux orgueils du passé
N'est pas cet étranger devenu fils de France
Non par le sang reçu mais par le sang versé.
(1920)
Michel Baury
Au-delà de la mort
Absurde la mort
La fin du mouvement
La conscience saisie de vertige
précipitée vers l’inconscience
Le corps s’immobilise
Le geste disparaît
Et les yeux qui se ferment
Pour coudre les paupières
Sur la dernière image d’un rêve qui s’achève
Absurde la pièce qui s’arrête
Et le rideau qui tombe sur ce théâtre d’ombres
Le vertige soudain au bord du précipice
et l’esprit libéré
dernier souffle de vie
Le fardeau déposé
au bord de la grand-route
Et un dernier regard tourné avec bonheur
vers le livre musée
où s’entassent pêle-mêle
les souvenirs heureux
L’au-delà de la mort
Les dieux les champs élyséens
Les âmes transportées
vers des cieux inconnus
Le dernier supplice pour ce dernier voyage
ou la béatitude figée dans cette éternité
Absurde ce tout qui devient rien
ou ce rien dont il ne reste rien
Une vie qui s’écrit en destin
sur la page trop vierge des mémoires collectives
Un château de cartes qui s’effondre
Cellules empilées
qui achèvent leur règne biologique
et qui s’en vont peupler
les asiles insondables
fantômes du néant qui reposent discrets
L’aliéné libéré qui s’apaise soudain
En voyant s’ouvrir les portes des ténèbres
Sur l’aurore de la très longue nuit
Brigitte Beaudin
Encriers
L’encrier renversé laisse couler sur les pages
Une tâche noirâtre qui soudain se répand
Couvrant les souvenirs comme un sombre nappage
Comme l’épais brouillard qui nous cache l’étang.
Mes vers, comme un buvard, absorbent le noir liquide
Et laissent entrevoir les images antiques
Il faut cligner des yeux pour distinguer les signes
Qui étaient déposés à l’encre sympathique.
Je regarde à la loupe et je reconstitue
L’histoire qui se déroule inexorablement
Je veux la diriger et je la continue
Sans savoir contrôler tous les événements
Quelques feuillets jaunis seront lus sous la lampe
L’aventure se poursuit en noir et en couleurs
La plume dans l’encrier, comme un enfant, je trempe
Pour un livre banal de rires et de pleurs.
Brigitte Beaudin
Vieillir
Vieillir, c’est remonter le courant
Partir au pays des délices
Vouloir lutter contre le vent
Pour éviter le précipice.
Vieillir, c’est partir à la quête
De nos rescapés sur les îles
Pour les retrouver en cachette
Dans des contrées moins hostiles.
Vieillir, c’est aller à la pêche
Des souvenirs à la dérive
C’est s’allonger à la fraîche
Les pieds traînant dans l’eau vive
Sur l’embarcation légère
Poussée par le tendre Zéphyr
Qui nous ramène à hier
Pays du rêve et du rire.
Vieillir, c’est une lente escapade
C’est un doux éloignement
C’est l’inévitable ballade
Dans l’espace et dans le temps.
Michel Benard
Cathédrale
La cathédrale conte
Les couleurs de l’histoire,
L’éclat d’un bleu royal,
La brûlure d’un rouge cardinal,
La lumière d’un jaune solaire.
C’est une vision nocturne,
C’est une image irréelle,
Un mystère des ténèbres
Dévidant les secrets
D’un livre d’heures
Sous l’étrange lueur lunaire.
Ce soir je regagne
Les jardins de l’enfance,
L’étonnement, l’éblouissement.
La cathédrale conte
L’intime de ses rêves
Au grain de son grès.
Michel Benard
Je voudrais composer
Je voudrais composer une palette
A tes couleurs de femme,
A tes transparences d’âme,
A tes reflets de césur,
Afin de mieux pouvoir peindre
La toile de notre amour.
La Société des Poètes Français a été fondée en 1902, par José-Maria de Hérédia, Sully Prudhomme et Léon Dierx, tous trois de l’Académie française, à l’occasion de la célébration du premier centenaire de la naissance de Victor Hugo.
Elle a été reconnue d’Utilité Publique en 2003 sous la présidence de Vital Heurtebize.
L'actuel Président est Jean-Charles Dorge.
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