Arthur Rimbaud

Ma bohême

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal :
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal  ;
Oh ! là là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
− Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
− Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !

Arthur Rimbaud

Sensation

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, heureux comme avec une femme.

Jacques Raphael-Leygues

(1913 -1994)

Retour d'Afrique

C’est l’heure calme de Virgile
Où tout bateau paraît voilier,
C’est l’heure où les quais noirs ressemblent à des îles,
Où les visages familiers
Deviennent tels qu’en eux au début de nos mondes,
C’est l’instant primitif d’images vagabondes
D’esclaves nues et de geôliers
Dans les jardins d’Asie Mineure,
C’est l’heure
Des querelles de gondoliers,
L’instant des songes juvéniles,
Miroirs de palmeraies aux Indes des moussons,
C’est l’heure
Où tout marin perdu redevient Robinson.
Soir de Toulon
Jacques Raphael-Leygues
Extrait de « Reflets des heures vives » (Stock, 1987)