Poésie
François-Xavier Desprez
Saint-Michel
Jamais plus, l’air frais dans la maison, ni l’odeur
Du vent quand il fait beau sur la terrasse blanche,
Ni les hortensias habillés, ni la branche
D’un sapin précurseur.
Jamais plus, - masure en grises pierres anciennes, -
Prairie ébouriffée, - un cheval, un château,
Un fossé qui ruisselle, un arbre, chapiteau
Des colonnes pérennes.
Jamais plus, les tas de bois noir, comme adossés
A la muraille verte et haute, et le garage
Obscur, - et trop rempli ! - Montagne du courage,
Caverne aux jeux passés !
Les contes et les rires.
Jean-Charles Dorge
Adieu tardif
Puisque tu me reviens, entends mon « au revoir » :
Ne t’avais-je perdue en ce premier dimanche ?
Mais, resté longtemps seul, souffrant dans ma nuit blanche,
Mon cœur s’en est allé courir sur le trottoir.
Si tu n’as point d’abri, je t’offre mon dortoir,
Refuge de tous pleurs de l’amour, sans revanche,
Où personne jamais pourtant ne se retranche.
Je repars libre, enfin, craignant de m’émouvoir.
Tu me reviens bien tard ; tant de frères sont morts,
Aussi tant de mes sœurs et presque moi-même. Or,
Je n’ai pu me sauver qu’en gommant ton image.
Maintenant que les eaux ont changé d’océan,
Que mille fois la terre a tourné sans dommage,
Je vis de souvenirs. Tout le reste est néant.
Jean-Charles Dorge
Le derviche
Les senteurs du labour envahissaient la plaine.
Une sorte de fou, joyeux, inoffensif,
Tournait sur le chemin comme un danseur pensif,
Entonnant, mains levées, une humble cantilène.
D’un pas leste et soyeux dans sa cape de laine,
Il flottait et tanguait, ignorant tout récif,
Tel un bateau d’amour au mât compréhensif,
Montrant à l’univers sa grâce souterraine.
L’homme aux bras en suspens semblait prendre un envol,
Edictant les souhaits d’un monde en entresol
Retrouvant le bonheur dans l’Eden hiératique.
C’était un miséreux qui vivait pour s’offrir,
Un ascète contraire à toute arithmétique :
Il voulait récolter des âmes à chérir.
Jacques-François Dussottier
O Femme
Tu es mon point du jour
Toi mon rivage, mon embellie
Mon intime transhumance
Vers ton être habillé de lumière.
Aux feux de ma tendresse
Fleur tremblante de mon émoi
J’ai troublé ton regard
Aux tamis de mes mots lilas.
Je moissonne des baisers
A ta robe d’aube et de vent
Et je vogue de ton cri à ta lèvre
Voyageur ébloui de mon rêve habité.
Au long de ces vers que j’ai semé pour toi
Dans l’immense silence d’une larme
Mon écume court sur ton sable
Vers l’infini de tes bras.
Comme des mots envolés sur le temps
Je dépose sur ton cœur ce tendre poème
Je t’aime, t’espère et te nomme
Toi ô Femme !
Léon Dierx
Au jardin
Le soir fait palpiter plus mollement les plantes
Autour d'un groupe assis de femmes indolentes
Dont les robes, qu'on prend pour d'amples floraisons,
A leur blanche harmonie éclairent les gazons.
Une ombre par degrés baigne ces formes vagues ;
Et sur les bracelets, les colliers et les bagues,
Qui chargent les poignets, les poitrines, les doigts,
Avec le luxe lourd des femmes d'autrefois.
Du haut d'un ciel profond d'azur pâle et sans voiles
L'étoile qui s'allume allume mille étoiles.
Le jet d'eau dans la vasque au murmure discret
Retombe en brouillard fin sur les bords ; on dirait
Qu'arrêtant les rumeurs de la ville au passage,
Les arbres agrandis rapprochent leur feuillage
Pour recueillir l'écho d'une mer qui s'endort
Très loin au fond d'un golfe où fut jadis un port.
Auguste Dorchain
Réconciliation
J’ai voulu de l’Amour séparer le Désir,
Quand ce maître fatal, d’un regard ou d’un signe
Liant ma chair fragile à quelque chair indigne,
M’imposait en dégoût la rançon du plaisir.
Depuis ce temps, — ô joie ! orgueil ! j’ai pu choisir
La beauté dont l’amour a des pudeurs de cygne,
Et j’ai compris, alors, quelle faveur insigne
Fit, quand s’aiment les cœurs, les bras pour se saisir.
Ô mon Amour unique ! à présent que je t’aime,
Je vois dans le Désir la Chasteté suprême,
L’ineffable lien de la terre à l’azur ;
Et sur ton sein pâmé lorsque mon sein se pâme,
Je me sens noble et fier, je me sens jeune et pur.
Comme si j’étreignais la forme de ton âme !
Jean-Charles Dorge
Relayeur
Vous partez pour la course et manquez le départ
Sans vous apercevoir que la chance est perdue ;
Vous espérez encore en ce podium qui tue
Mais vite comprenez l’erreur… il est trop tard !
Ainsi votre parcours, à défaut d’un regard
Au bon moment, n’est rien qu’une épreuve déçue,
Pourtant sans importance. Alors, la moindre issue
Devient signe béni… votre chemin repart !
Renaît d’une lueur l’espoir qu’elle révèle,
D’un horizon paré d’une heureuse nouvelle :
Vous disposez, enfin, de clés pour l’avenir !
L’une d’elles, surtout, après toutes les autres,
Ouvre l’ultime porte : À vous de devenir
Le porteur du flambeau qui ranime les nôtres !
Jacques-François Dussottier
Ecrire
Nu dans mon innocence d'homme
je m'égare au hasard de la langue,
je vis de la vie des mots
mots confidents de ma solitude,
je suis la page blanche
espace ouvert à perte de vide,
maraudeur du langage
j'inscris au fil du feu, de la folie
mes mots caravaniers, buissonniers.
Bonheur d\'écrire, souffrance d\'écrire,
j'écris des matins de naufrage
dans la rouille et l'amertume,
des mots qui font trembler mes mains
cris muets suspendus à l\'encre des larmes,
je suis en survivance
je suis mon souvenir,
la raison jusqu'à la déraison
dans des silences perdus au bout de l\'écriture.
Avec des mots venus d\'ailleurs
nomade du désir, de la tendresse,
l'amour est mon passé, ma mémoire.
Le poème que je tisse est un cri
le goût de l\'autre, ma passion rebelle,
les raisons d'être fou dans la mémoire d'aimer.
j'existe aux mots de l'amour
et la parole est Femme au terme de mon poème.
La Société des Poètes Français a été fondée en 1902, par José-Maria de Hérédia, Sully Prudhomme et Léon Dierx, tous trois de l’Académie française, à l’occasion de la célébration du premier centenaire de la naissance de Victor Hugo.
Elle a été reconnue d’Utilité Publique en 2003 sous la présidence de Vital Heurtebize.
L'actuel Président est Jean-Charles Dorge.
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